Racines

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11 avril 1863, une ferme à 15 Km de Paris

En ce début de journée une forte animation et un joyeux brouhaha emplissent les abords du lieux. Un tohu-bohu où se mélangent rires, cris d'enfants, conversations animées et chants. Ce sont ceux des parents et amis venus féliciter ceux que, ce matin à onze heures, le Maire de Roissy a déclaré mari et femme.
Mais qui sont donc les époux ?
Elle, c'est Marie Amélie, 22 ans, la neuvième enfant d'une famille de dix sept dont les onze frères et sœurs survivants sont ici présents. Son père, Robert Taveau, est hélas décédé deux ans plus tôt. Il a laissé à sa veuve Angélique, née Bouchard, la responsabilité d'une exploitation de 400 ha. Victor, le frère cadet de Marie Amélie, et Camille, une sœur aînée, assistent leur mère dans cette lourde tâche.

Aucun d'entre eux ne peut imaginer que dans un peu plus d'un siècle, les pistes et infrastructures de l'aéroport Charles de Gaulle auront définitivement recouvert les champs de leur exploitation. Les famille Taveau et Bouchard sont comptées parmi celles des fermiers-laboureurs d'Ile de France dont on retrouve les filiations remontants jusqu'au début du 16e siècle

Mais revenons aux mariés.
Lui, c'est Alphonse, 32 ans, il est déjà quelque peu installé par la grâce de son père, Jean-Baptiste Leroux, membre du comité de direction des usines "Cail"(1).
Vingt cinq ans plus tôt Jean Baptiste a déposé un brevet pour une turbine de raffinage du sucre. L'exploitation du brevet par la maison Cail, a tout naturellement amené Jean-François Cail et Jean-Baptiste Leroux à bien se connaître. Au fil des ans J. B. Leroux est devenu l'homme de confiance de J.F. Cail et au cours d'un voyage dans le Nord pour le compte de ce dernier, il a saisi une opportunité en rachetant, à Orchies, une petite chocolaterie en faillite qui constituera en partie la dot de son fils.

Ainsi débutera la "Chicorée Leroux", aujourd'hui pratiquement le seul producteur de chicorée, distribuant sous sa marque mais également fournisseur à la majeure partie des industriels utilisateurs. Alphonse Leroux transformera la chocolaterie pour reconvertir la fabrique vers la torréfaction de chicorée.
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jean batiste leroux Les conversations vont bon train, chacun se connaît peu ou prou. Mais écoutons ce qui se dit car voilà justement le père du marié Jean-Baptiste Leroux (1800-1882). Toujours à l'affût d'une bonne affaire, il explique comment il a convaincu son ami, J.F. Cail, de retenir pour les plans de son hôtel particulier le cabinet d'architecture de son cousin germain, Jean Eugène Rodier associé à Pierre Christophe Labouret (2).
Et chacun comprend que la combinaison montée par J.B. Leroux reste dans le droit fil de la tradition des arrangements en famille.

Les Rodier et les Labouret ont prolongé leur association par le mariage de leurs enfants respectifs - Alice Rodier épousera Albert Labouret. Ce dernier supervisera la construction de l'hôtel Cail. Mais le sens des affaires habite aussi les Labouret : veuf deux fois, Pierre Christophe Labouret épousera en 3e noce… la veuve de son associé décédé, soit la belle-mère de son fils. Difficile de faire mieux pour verrouiller une succession !
Rappelons que l'hôtel Cail a été préempté par la ville de Paris en 1926 pour en faire la mairie du 8e arrondissement.

Jean-Baptiste s'éteindra le 5 novembre 1882 à son domicile, un petit hôtel de Neuilly, 7 Avenue Ste Foix. Son existence bien remplie l'a vu inventeur, éditeur, administrateur. Il laisse derrière lui deux enfants, Alphonse et Henriette, et son épouse Rose, née Duffié.

DufieEt puisqu'il est question de Rose Duffié, approchons-nous de son frère, Jean Augustin qui a signé, comme témoin, l'acte du mariage.
Chevalier de la Légion d'Honneur, Jean Augustin, distillateur, maire de la Ferté sous Jouarre, vient de traverser des années difficiles : son deuxième fils, Alexandre Napoléon (1833-1880) qui est en Amérique depuis quatre ans, a été condamné par contumace pour désertion à l'étranger (conseil de guerre du 19 mai 1860. Engagé volontaire à 18 ans au 6e régiment de dragons, Alexandre a servi en Crimée et participé au siège de Sebastopol. Suite à l'action d'éclat d'une charge de cavalerie à la bataille de Kanghil, il est décoré de l'Ordre de Medjédié de Turquie et de Médaille de la Reine d'Angleterre.
Mais en août 1859, Il déserte et embarque pour l'Amérique.
Un plus tard, en août 1861, à l'irruption de la guerre de sécession, il s'engage dans l'armée fédérale. Son expérience de cavalier le fait remarquer et en juin 1862 il est désigné comme Colonel du 1er Régiment de Cavalerie du Rhode Island. Quelques faits d'armes plus tard il est promu Général de Brigade sur recommandation d'Abraham Lincon en personne.

C'est sa future femme, Mary Ann Pelton qui l'incita à déserter. Elle est avec lui lorsqu'il s'embarque au Havre le 30 août 1859.
Ils se sont connus par hasard en Crimée, à Balaklava, où Mary Pelton, fille d'un riche industriel New Yorkais a rejoint le groupe de volontaires autour de Florence Nightingale (lire la biographie écrite par son aide de camp, le major Georges N. Bliss).

Mais n'est-ce pas, Henriette, la sœur du marié avec qui Jean Duffié, le père du futur général, mène sa conversation ? Henriette Leroux (1840-1912), est devenue madame Riviere quelque mois plus tôt. Elle sera veuve trois fois et ne vaudrait pas d'être citée si elle n'était la mère du peintre et graveur Henri Rivière (son premier enfant) et la grand-mère, par son deuxième fils Jules, de Georges-Henri Rivière le co-fondateur du Musée de l'Homme.

Henri Rivière 1864-1951, peintre, graveur et photographe est exposé au musée d'Orsay et de Pont Aven. Le musée de la chicorée à Orchies réunit également une quantité notable de ses oeuvres.

Georges-Henri Rivière 1897-1967, Ethnologue, Conservateur et muséeologue d'avant-garde. Lire sa biographie écrite par Jean François d'Huys..
Voir les sites Internet (wikipedia, Encyclopédie Universalis entre autres).

Les frères et sœurs de la mariée sont tous là. Il y a entre autre Angélique, qui, huit ans plus tôt a épousé un fermier de Mitry, Louis Fouillaux. Ils sont venus avec leurs enfants, et la maman s'occupe de sa petite Amélie âgée de trois ans.

Cent ans plus tard, au milieu des années 1960, les petites filles d'Amélie Fouillaux, les demoiselles Marie et Suzanne Poupinet vendront à un promoteur immobilier les terres qu'elles possèdent au Chesnay. Les immeubles pousseront sur le grand verger qui deviendra … PARLY II

La journée et la fête s'achève. Les invités se séparent et regagnent alentours, qui sa ferme, qui Paris. Les mariés se sont déjà éloignés [cliquer ICI pour afficher l'acte de mariage]. Laissons les à leurs amours qui dureront encore trente années et laisseront en témoignage une postérité de quatre enfants, Adrien, Alphonse, Thérèse et Alexandre.

Ce sont les descendants de ces quatre là ainsi que ceux de leurs cousins Duffié, arrière-arrière petits enfants du Général ou de son frère Achille, qui se sont rassemblaient le 29 juin 2002 pour trinquer à la mémoire des braves gens et de la fête du 11 avril 1863.

adrien lerouxAdrien Leroux (1864-1925). Quoique fils aîné, il ne prend pas la succession de la chicoraterie d'Orchies mais se lance, sur les traces de son grand-père, dans l'industrie du sucre.
Engagé comme directeur de la sucrerie SAY de Pont d'Ardres (62) en 1893, il se marie en 1896 (Pauline Croissant). Il est promu Directeur des Sucreries d'Egypte en 1899.
Il y passe six années, développant la culture de la canne et dirigeant la construction des raffineries le long du Nil.
Peu après son installation en Egypte, il fonde la Chambre de Commerce du Caire. Son action lui vaut d'être décoré de l'Ordre d'Osmanie et de la Légion d'Honneur. En 1905 il quitte SAY et fonde près de Brienne-le-Château (Aube) une raffinerie betteravière qui sera en activité jusqu'à l'expropriation par l'Etat qui réalise un parc militaire sur les terrains. Conseiller Général, Adrien Leroux décède le 22 juillet 1925 des suites d'une intervention sur la prostate .

croissantCharles-Edouard Croissant (1805-1862) C'est le grand-père de Pauline Croissant, épouse d'Adrien Leroux.-
Substitut du procureur du roi à Toul en 1830 puis à Chalons en 1833, il est appelé à Paris en 1836.
En 1843, il a 38 ans, il reçoit la Légion d'Honneur pour services rendus au droit.
Révoqué de ses fonctions à la révolution de 1848, il est réintégré en 1849.
Il est nommé Avocat Général à la cour de Paris en 1850, puis premier Avocat Général en 1855 et enfin Président de la chambre de la cour Impériale en 1858.
On peut voir à la Conciergerie à Paris quelques uns de ses écrits.
Sa biographie sur le site.

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